10/03/2023

LA TRAVERSÉE DES TEMPS | PARADIS PERDUS (tome 1) (Éric-Emmanuel Schmitt - 2021)

Albin Michel - 564 pages

18/20   Roman initiatique au Néolithique

    Il y a huit mille ans, à la suite d'un phénomène extraordinaire qui sera détaillé au cours du récit, Noam a gagné l'immortalité à l'âge de vingt-cinq ans.
Ayant traversé les temps jusqu'à aujourd'hui, ce témoin de l'histoire de l'humanité est inquiet face aux nombreux défis qui se dressent et aux risques encourus par l'homme. Il décide alors de coucher par écrit sa longue existence qui a débuté au début du Néolithique près d'un lac...

  À cette époque, Noam vivait dans un village lacustre dirigé par son père Panoam qu'il admirait. Lorsqu'arrivèrent le guérisseur Tibor et sa fille Noura, venus chercher refuge dans leur communauté, la vie de Noam fût bouleversée : totalement sous le charme de Noura, il découvrit la véritable identité de pervers narcissique de son père qui décida arbitrairement de prendre Noura pour seconde épouse en plus de sa femme Helena. C'est auprès de son oncle, vivant caché dans les bois depuis une altercation avec son frère Panoam, que le jeune homme trouva alors refuge et affection.
Barak, devenu son père par procuration, lui enseigna ainsi la vie dans la nature sauvage et lui fit faire la connaissance des chasseresses, des femmes indépendantes et nomades vivant à l'abri de grottes.
En plus d'être confronté à de très nombreuses péripéties familiales au sein de son clan ainsi que de devenir père, Noam découvrit la montée constante et régulière du niveau du lac nourricier autour duquel de nombreux villages avaient organisé leurs activités. Devenu chef de son clan, il prit alors la décision de bâtir des embarcations pour se préparer à la transformation de son environnement et protéger sa famille ainsi que sa communauté du déluge annoncé...

  Quelle épopée ! J'avoue avoir été perplexe au début sur le ton pris qui me paraissait léger, voire frivole au regard de ce que promettait la quatrième de couverture : « Faire défiler les siècles [...] comme si Yuval Noah Harari avait croisé Alexandre Dumas. » Cela me semblait trop romancé, trop manichéen. J'ai également ressenti quelques appréhensions sur la fréquence des rebondissements semblant un peu trop servir le récit et le risque d'utilisation déraisonnable de ficelles scénaristiques.

  Mais finalement ces craintes se sont progressivement envolées... Car les pages s'enchaînent, l'architecture générale d'un récit qui se déroulera sur huit tomes commence à se distinguer dans toute sa richesse, les connaissances sur le Néolithique se mettent à affluer, les personnages deviennent véritablement attachants et la fin se montre passionnante en parvenant à mettre en relief les dernières découvertes archéologiques qui expliquent l'épisode du Déluge si bien conté et démythifié par Noam lui-même.
Bref, le lecteur se trouve petit à petit embarqué par Éric-Emmanuel Schmitt qui se révèle être un conteur passionnant. Jamais pédant, son parti pris d'utiliser une trame romanesque préserve le lecteur de sombrer dans un livre à dimension universitaire tout en lui faisant acquérir de nombreuses connaissances. Même ceux qui ne sont pas férus de la période Néolithique découvriront un pan passionnant de notre histoire commune durant lequel ont eu lieu des transitions capitales concernant l'organisation de la société qui expliquent toujours aujourd'hui le monde contemporain.
Concernant les nombreux rebondissements, ils sont utilisés avec intelligence pour servir l'histoire et lui apporter le rythme et la fluidité indispensables dans un projet littéraire d'une telle envergure. Il faut aussi y voir cette filiation à Alexandre Dumas dont l'auteur se réclame et sa passion pour le théâtre qui éclaircit justement sur ces « coups de théâtre » qui surgissent régulièrement ! J'ai même ressenti, malgré l'absence d'image, un style bande dessinée... Cela est certainement lié à la dimension manichéenne appuyée, à la candeur de plusieurs personnages et à la profusion d'images que l'auteur sait faire naître avec tant de talent.

  Schmitt dit s'être lancé dans le projet de sa vie, celui auquel il réfléchissait déjà il y a presque quatre décennies ! Ayant amassé tout ce temps durant des connaissances dans de nombreux domaines, il nous plonge aujourd'hui dans l'histoire vertigineuse de l'humanité.
En revisitant les grands mythes fondateurs de l'Ancien Testament, il raconte notre passé en décryptant les nombreuses interprétations qui ont fini par noyer totalement la réalité au profit des grands textes religieux. Ainsi Paradis perdus revisite l'épisode de l'arche de Noé sauvant tous les animaux de la création à travers le périple de Noam qui, suite en réalité à la fin de la période glaciaire faisant déborder la Méditerranée dans la Mer Noire, embarque à bord de radeaux pour ne pas être englouti.

  Ce premier volume de La traversée des temps aborde dans un style littéraire soigné énormément de sujets dont la transformation de la réalité en mythe ou le rapport de l'homme à la nature qui d'un animisme respectueux est parvenu à une domination destructrice.
Hymne à la nature et à l'amour à travers Noam et Noura, faisant la part belle à la grande aventure, celle qui offre une vraie évasion, il y a un sentiment de fraîcheur et de renouveau à la lecture de ce livre qui s'écarte avec brio d'une production littéraire française parfois un peu trop sclérosée.

[Critique publiée le 10/03/23]

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