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17/20 Magnétique et envoûtant
Attiré par des bruits dans le grenier de la demeure, le narrateur qui est portraitiste, a découvert un hibou et un tableau soigneusement emballé. L'œuvre magnifique intitulée Le meurtre du commandeur avait été composée selon les codes du nihonga, un mouvement artistique traditionnel japonais, par Tomohiko Amada qui était le père de son ami et aussi un peintre célèbre ayant fini par sombrer dans la sénilité au sein d'un hospice.
La découverte de cette peinture, directement inspirée de l'opéra Don Giovanni de Mozart, a véritablement provoqué une succession d'événements pour le narrateur : « C'est seulement dans la parenthèse de ces neufs mois que, de façon inexplicable, tout a soudain été plongé dans le chaos. Cette période, pour moi, a constitué un temps parfaitement exceptionnel, littéralement extraordinaire. J'étais semblable à un nageur qui se baigne au milieu d'une mer paisible avant d'être englouti brusquement dans un immense tourbillon non identifié, surgi de nulle part. »
Tout d'abord, il a commencé par entendre chaque nuit le tintement d'une cloche semblant provenir de l'extérieur puis a ensuite fait la connaissance de son étrange voisin, Menshiki, un cinquantenaire extrêmement riche, raffiné et cultivé.
Ensemble, les deux protagonistes ont découvert où naissait le son nocturne libérant par la même occasion la fameuse « idée » à laquelle le titre du premier tome fait référence ; cette idée qui s'est matérialisée dans notre monde par l'apparition réelle de l'un des personnages représentés dans le tableau de Tomohiko Amada...
Puis il y a eu la rencontre avec une autre voisine et sa nièce, Marié, âgée de treize ans dont le narrateur a entrepris de faire le portrait pour satisfaire le désir secret de Menshiki.
Et finalement a eu lieu la renaissance que le conteur de cette histoire attribue aujourd'hui au long et étrange chemin initiatique parcouru durant ces neuf mois.
Haruki Murakami livre ici une œuvre mystérieuse et totalement magnétique. Comme toujours avec l'écrivain japonais, il est impossible de ne pas tourner les pages pour connaître la suite. Et ce n'est pas uniquement dans la construction du suspense que se manifeste cet appétit mais dans cette ambiance si propre à Murakami.
Ainsi, avec lui l'ordinaire prend une couleur singulière. Une scène décrivant un type faisant la vaisselle devient passionnante. Car il parvient par son écriture à créer une atmosphère particulière dans laquelle un très léger décalage du réel peut survenir à tout moment.
C'est dans ces interstices que se niche toute la mythologie de l'auteur. Romans après romans, il fait glisser ses personnages aux vies banales dans des failles, des souterrains, des espaces-temps qui semblent très réels mais qui relèvent pourtant de l'onirisme, du fantastique.
Cela peut parfois laisser le lecteur interrogatif car les interprétations possibles de ses écrits sont vastes. Et Le meurtre du commandeur illustre assez bien cela. Le rapport au père, le symbolisme de la gestation et de la naissance avec cette fosse qui joue le rôle d'un utérus, la confrontation à la mort et au deuil, les questions sur l'art et ses limites sont les thèmes mis en avant dans ce gros roman et qui donc trouveront un écho différent chez chacun tant l'auteur joue avec l'indicible.
À titre personnel, j'ai préféré la trilogie 1Q84 qui, dans la même veine, est un peu plus accessible et convient davantage aux esprits cartésiens. Néanmoins, il est impossible de résister à un récit de Murakami et cela est déjà une énorme satisfaction... C'est une expérience de lecture envoûtante qu'il faut mener soi-même car elle est difficile à rendre palpable dans une chronique.
« Par la bouche d'aération à la grille cassée, la lumière de l'après-midi se déversait à l'oblique. Autour de nous il n'y avait que du silence et de la poussière blanche. Un silence et une poussière qui semblaient être envoyés depuis la nuit des temps. On n'entendait même pas un souffle de vent. Et le hibou perché sur sa poutre conservait dans son silence la sagesse de la forêt. Sagesse qui s'était transmise de génération en génération depuis les temps les plus anciens. »
[Critique publiée le 10/03/23]
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