10/03/2023

REVIVAL (Stephen King - 2014)

Albin Michel - 438 pages

18/20   Un art de la narration incroyable

    Voici l'histoire de Jamie Morton.
En octobre 1962, le petit garçon de six ans fait une rencontre déterminante dans sa vie alors qu'il est en train de jouer avec ses petits soldats sur le chemin de terre devant la maison familiale de Harlow. Charles Jacobs, le nouveau pasteur de la ville, s'arrête pour saluer et jouer avec le bambin avant de se présenter au reste de la famille.
Jamie est le cadet d'une fratie comprenant quatre garçons et une fille. Il adore sa sœur Claire, l'ainée, qui est une seconde maman pour lui. Ce petit monde est croyant et se rend chaque dimanche à la messe ainsi que chaque jeudi, pour les enfants, aux réunions de l'Union des Jeunesses Méthodistes.
En dehors de ses prêches, le pasteur Charles Jacobs se passionne pour l'électricité qui reste à ses yeux mystérieuse et miraculeuse. Il présente à Jamie les petites inventions qu'il s'amuse à créer.
Mais un accident vient perturber l'équilibre idyllique au sein de la famille : Connie, l'un des frères de Jamie, perd la voix suite à un coup de bâton de ski dans la gorge. Malgré le ton rassurant du médecin, il reste pourtant muet durant de longues semaines et doit communiquer par écrit. Le pasteur propose de tenter la guérison du garçon en utilisant un système de stimulation électrique de son invention. Et cela marche à merveille !

  Malheureusement, c'est au tour de Charles Jacobs lui-même d'être touché par un drame, bien plus terrible, qui remet en cause toute sa foi en Dieu et l'éloigne de la religion et des habitants de Harlow...

  La vie continue pour Jamie qui se découvre une passion pour la guitare et devient musicien enchaînant les groupes de rock et les concerts. La drogue aussi entre dans son quotidien jusqu'à le faire devenir totalement dépendant et malade.
Nous sommes en 1992, Jamie a trente-six ans et il va croiser une seconde fois la route du révérend Jacobs à Tulsa dans l'Oklahoma après s'être fait virer de son groupe de musique à cause de son état de camé.
Celui qui se fait désormais appeler Dan Jacobs officie dans une grande foire où il met en scène des « portraits à la foudre ». La foule est nombreuse et l'ambiance électrique.
Cette seconde rencontre va être considérablement bénéfique pour Jamie qui va retrouver le droit chemin. Pour autant, Jacobs est toujours aussi perturbant dans son rapport à l'électricité. Que cherche-t-il exactement ? Il semble possédé par une idée, un cap qu'il veut atteindre quoiqu'il en coûte.
Les destins des deux hommes sont scellés et leurs chemins ne se quitteront plus jamais vraiment. Pour le meilleur mais surtout pour le pire...

  En plus de critiquer le prêchi-prêcha des religions et les illusions qu'elle font miroiter, Stephen King rend ici ouvertement hommage à ses maîtres, « ceux qui ont bâti ma maison » écrit-il dans l'épigraphe avant de les citer : Mary Shelley, Bram Stoker et H. P. Lovecraft entre autres. La partie finale fait en effet basculer le récit dans une horreur digne de ces grands auteurs. Mais il est impossible d'en dire davantage sans divulgâcher tout le piment du récit. Sachez juste que le mystère tissé tout au long du roman se dévoile dans les quarantes dernières pages qui sont intenses et extrêmement noires.
Attention ! Cela ne signifie pas que la partie, dépourvue d'horreur, précédent la chute n'est là que pour la préparer, voire juste pour meubler comme pourraient le dire les mauvaises langues. Au contraire, je considère chacune des pages antérieures au final comme un modèle de narration absolument brillant. Stephen King n'est pas seulement un écrivain de genre et Revival en est une fois de plus la preuve. Il est avant tout un conteur merveilleux capable de prendre n'importe quel lecteur par la main pour lui raconter les choses simples de la vie comme l'amitié, l'enfance, la famille, le temps qui passe, la peur de la maladie. Bref, il sait parfaitement mettre en scène les grands thèmes récurrents de la littérature dite blanche.
Il a écrit ce livre à soixante-sept ans et, chose impressionnante, garde toujours un œil parfaitement sagace sur les périodes de l'enfance et de l'adolescence qu'il aborde continuellement depuis son premier roman Carrie publié en 1974. En brossant ici la vie de son personnage Jamie depuis ses six ans jusqu'à ses soixante-et-un ans, Stephen King ne choisit pas la facilité à travers cet exercice de grand écart temporel ; pourtant il s'en sort avec brio en sachant restituer à merveille chaque âge de la vie : depuis les premiers amours passionnés de l'adolescent jusqu'au coup d'œil nostalgique dans le rétroviseur chez l'homme d'âge mûr. La force du livre réside là selon moi : dans cette construction de vies ordinaires sur un rythme totalement haletant et addictif pour le lecteur !
L'horreur qu'il maîtrise évidemment avec perfection et qui demeurera toujours sa marque de fabrique est alors comme un voile qui vient assombrir le monde commun qu'il a bâti avec beaucoup de réalisme.

  À ce sujet, voici un extrait de l'interview du maître par le journal Télérama lors de sa venue en France à la fin de l'année 2013 :

  Télérama : « Vous dites que les livres d'horreur mettent en scène des gens ordinaires à qui arrivent des choses extraordinaires, tandis que les romans traditionnels mettent en scène des personnes extraordinaires à qui arrivent des choses ordinaires... »

  Stephen King : « L'essentiel, pour tout écrivain, est d'écrire sur ce qu'il connaît. Il se trouve que je vis, et que j'ai toujours vécu, entouré de gens ordinaires. Je ne vis pas sur un campus universitaire, ni auprès d'intellectuels et d'artistes, mais dans un coin des États-Unis où les gens sont banals, travaillent pour vivre, vont prendre un café au coin de la rue. Je connais ces vies ordinaires, et pour qu'elles soient intéressantes, pour moi comme pour le lecteur, j'aime projeter ces gens normaux dans des situations extraordinaires, où ils sont obligés d'affronter des dangers, de se montrer héroïques - ou pas. Pour moi, en fait, cela ne relève pas du fantastique, mais plutôt du réalisme, car dans la vraie vie, chacun est bel et bien confronté à des situations extraordinaires ou dérangeantes : la mort d'un proche, un accident, une maladie... Le but principal de la fiction est d'impliquer le lecteur. Moi, je veux aussi qu'il s'amuse, qu'il oublie sa vie de tous les jours. Quand j'étais enfant, on me disait parfois : Stephen, mais qu'est-ce qui ne va pas avec toi, tu as toujours le nez dans un livre. J'avais envie de répondre : mais vous ne vous rendez pas compte, je vis d'autres vies que la mienne ! »

[Critique publiée le 10/03/23]

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